Les jeux vidéos peuvent-ils vraiment être au service du savoir ?
Les jeux vidéos, un dispositif original pour transmettre les connaissances…
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Depuis les années 70′ et l’apparition des premières bornes d’arcade, les jeux vidéos prennent de plus en plus de place dans notre vie. Ordinateurs, consoles, applications… Ils revêtent de nombreuses formes et séduisent beaucoup d’adeptes.
Difficile aujourd’hui de ne pas connaître (avoir connu) les Pokémons, Marios et autres FIFA… Les jeux vidéos semblent tellement populaires qu’ils représentent maintenant une économie non négligeable : plus de 10 000 emplois et rien de moins que 4,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France en 2018. Un industrie plus puissante que le marché du livre !
Et ce secteur est également source d’innovations, avec des images parfois plus vraies que nature, des sujets extrêmement variés et surtout la démocratisation de la réalité virtuelle… Demain sera-t-il à l’image du film Ready Player One ?
Au vu de l’importance de ce média, ne pourrait-il pas servir de support à la communication scientifique ? Devenir un véritable outil de culture populaire ?
Des jeux vidéos collaboratifs qui contribuent à la recherche
Mettre à contribution les publics…
Je reviendrai sur le dernier mot de la problématique : « culture populaire ». Nous en avons déjà parlé dans cet article et je vous avais proposé différents exemples de la vie quotidienne qui peuvent devenir des supports de communication scientifique. Le jeu vidéo en est donc un très candidat.
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Il peut tout d’abord servir de plateforme à une forme de science de plus en plus plébiscitée : les sciences participatives ou citoyennes (nous en avions discuté ici). En effet, différents laboratoires ont développé des jeux collaboratifs qui ont pour objectif principal de faire avancer la recherche. La société suisse MMOS (Massively Multiplayer Online Science) a ainsi créé un jeu ouvert à tous où il faut analyser un grand nombre de protéines. C’est en effet un travail de recherche titanesque et les deux concepteurs du projet ont eu l’idée d’associer les publics dans ces travaux. Il leur est ainsi demandé de reconnaître des protéines en échange de récompenses. Un projet qui permet de classer les protéines afin de mieux connaître leurs fonctions et leurs rôles dans différentes maladies.
C’était également l’idée de Jane McGonigal. Cette chercheuse en game design est convaincue que « les jeux ont le pouvoir de changer le monde ». En effet, ils permettraient de rendre l’être humain plus heureux en lui offrant une multitude de buts réalistes à atteindre. Ceci le pousserait donc à se dépasser, à proposer des projets, des innovations… Bref, à le rendre plus « efficace ».
Elle a ainsi créé plusieurs jeux en ligne afin de canaliser toutes les idées novatrices dont l’être humain a le secret. Avec World Without Oil, sorti en 2007, les joueurs avaient 32 semaines pour réfléchir à la manière de survivre dans un monde sans pétrole. Dans Superstruct, sorti en 2008, les joueurs apprenaient que l’humanité n’avait plus que 23 ans à vivre. Il fallait donc agir et inventer de nouvelles énergies, de nouvelles sources de nourriture ou de nouveaux systèmes sociaux pour éviter ce désastre. La collaboration a permis de proposer 500 solutions en seulement 8 semaines.
… Pour les associer à des travaux de recherche
Ces outils, en plus d’être divertissants et de servir la Recherche, permettent surtout une implication des publics. Si vous êtes un.e fidèle lecteur.trice, vous commencez à me connaître et vous connaissez mon dada : remettre la société au cœur des sciences.
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À travers ces jeux vidéos, les citoyen.ne.s pourront donc être sensibilisé.e.s à des sujets de recherche actuels. Ils/elles pourront découvrir certaines réalités du monde de la recherche, comme le nombre gigantesque de données à analyser et pourront également s’initier à la démarche scientifique. En effet, des jeux comme ceux proposés par Jane McGonigal demandent une certaine réflexion. Il faut proposer une hypothèse de départ, la tester, vérifier qu’elle est répétable et donc conclure. Ils peuvent aussi encourager le travail et la réflexion en équipe. En bref, c’est donc (encore) une bonne façon de former des citoyens concernés et éclairés.
Ces jeux peuvent donc être vus comme une sorte d’immense projet collaboratif qui permet à chacun de s’investir et d’apporter sa pierre à l’édifice.
Si cela vous tente, il existe une plateforme qui recense de nombreux jeux collaboratifs, ouverts à tous que l’on ait un bagage scientifique ou non. Les jeux traitent différents thèmes (arts, biologie, histoire, médecine, physique…), il y en a donc pour tous les goûts ! L’objectif principal est de permettre à tous d’effectuer des recherches et des projets qui, autrement, ne seraient pas possibles, voire même envisageables.
Les jeux vidéos, un support de transmission de connaissances
La mise à contribution de connaissances très diverses
Les jeux vidéos peuvent donc être une aide à la recherche et une bonne façon d’impliquer les citoyen.ne.s dans la démarche scientifique.
Cependant, ils peuvent également jouer un rôle direct dans la vulgarisation scientifique. En effet, certains jeux vont pouvoir sensibiliser aux sciences sociales, telles que l’histoire, la géopolitique ou l’économie. C’est par exemple le cas de Age of Empires, Civilization ou SimCity. Dans ces jeux de gestion, de construction et de stratégie, le joueur est amené à expérimenter et à réfléchir. Il est réellement actif et ses actions ont un impact direct sur l’avancée du jeu.
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Ainsi, dans SimCity, un « city builder game », le joueur doit construire et gérer intégralement sa ville. Il lui faut notamment réfléchir les infrastructures (routes, électricité, eau, transport en commun…), le plan de la ville (maisons, magasins…). En fonction de la qualité de service disponible (emplois par exemple), les entreprises et les habitants viendront, ou non, s’y installer. Des notions économiques, géographiques ou encore environnementales sont ainsi développées. Ce jeu semble tellement complet que certaines entreprises y ont vu, dans les années 90′, de véritables fonctions de formation et de simulation. Les créateurs ont ainsi produit des prototypes, notamment pour Pizza Hut et pour la CIA !
Dans Civilization, en revanche, le joueur doit avant tout faire évoluer une société. La stratégie est reine dans ce jeu et, contrairement à SimCity, le but est de gagner et d’imposer sa civilisation. Et pour y arriver, il va falloir choisir, tester, expérimenter… Il va falloir trouver un compromis pour être de plus en plus puissant. Faut-il utiliser plutôt la force guerrière, la force culturelle et scientifique ou encore un mélange des deux ? Une chose est sure, le joueur va mobiliser et assimiler un certain nombre de connaissances politiques. À commencer par la diplomatie : quelles alliances créer, avec qui discuter ? Le jeu est assez poussé pour proposer le vocabulaire technique associé : conscription, despotisme, théocratie…
Quant à Age of Empire, la stratégie reste principalement guerrière. Dans tous les cas, il vous faudra une armée qu’elle soit offensive ou défensive. Certes, il faudra choisir, mais choisir rapidement. En effet, Age Of se joue en temps réel, il faut donc être dans l’action et être capable de réfléchir très rapidement. Cela va donc demander des capacités de réflexion et de calcul très rapides. Un exercice qui n’est pas facile… Pas facile, car il faut prendre en compte aussi des notions politiques et économiques. Bref, il vaut mieux suivre le tutoriel au tout début…
Des jeux vidéos qui nécessitent un accompagnement ?
Certes, ces jeux de stratégie permettent aux joueurs d’acquérir, ou en tout cas de mobiliser, des connaissances très diverses. Cependant, ces connaissances sont parfois critiquables.
Ainsi, certains jeux peuvent être « idéologiquement marqué », une réflexion faite par Laurent Tremel, docteur en sociologie. Par exemple, choisir le communisme dans Civilization ne permettra pas de gagner, au contraire, il vaut mieux favoriser la colonisation et l’assimilation.
Je citerai également un autre jeu, Tropico. Ici, vous êtes sur une île pendant la Seconde Guerre Mondiale (en tout cas pour Tropico 5), et vous devez gérer une société dans les Caraïbes. Mais attention, pas n’importe quelle société : une dictature ! On retrouve la partie gestion, proche de celle de SimCity, mais petite subtilité, vous pouvez décidez de vendre vos ressources aux Alliés ou aux Nazis. Vous apprendrez aussi à truquer vos élections, comme tout bon dictateur qui se respecte, et à éliminer subtilement vos opposants…
Le principal reproche que je ferai à ces jeux c’est qu’ils sont délivrés sans contexte et qu’il y a une banalisation de la violence. Le joueur se retrouve seul devant, avec seulement son bagage et son vécu. Il est donc important qu’il prenne du recul par rapport au jeu, qu’il soit capable de remettre en question les décisions prises. Il est primordial qu’il soit capable de compartimenter et de faire la différence entre le monde réel et le jeu, ce qui, malheureusement, n’est pas toujours le cas…
Cela veut-il dire que les serious game doivent faire l’objet d’accompagnements, d’encadrements ? Certes, il faut que cela reste un loisir, mais un loisir réfléchi et mesuré…
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Conclusion (Ce qu’il faut retenir)
Le jeu vidéo est devenu extrêmement populaire aujourd’hui. Difficile de ne pas trouver quelqu’un qui n’a pas au moins une application sur son téléphone. Plutôt que de s’en inquiéter, il vaut mieux s’en réjouir. En effet, c’est maintenant un très bon support pour diffuser facilement des savoirs au plus grand nombre ! Nous avons là un bel exemple de culture populaire…
Et le monde de la recherche l’a bien compris ! Aujourd’hui, de nombreux jeux collaboratifs existent et touchent des domaines très variés. Ils sont très intéressants. En effet, en plus de faire avancer les travaux de recherche, ils permettent d’impliquer les citoyens et de les remettre au cœur des sciences. L’étape d’après serait-elle une prise de position sur les sujets actuels ?
De plus, c’est aussi un bon support pour transmettre et mobiliser des connaissances. En particulier à travers les jeux de gestion et de stratégie. Cependant, il est bon de se rappeler que ce sont d’abord des jeux. Ils nécessitent donc parfois une prise de recul pour bien faire la différence entre le réel et la fiction.
Preuve en tout cas que le sujet des jeux vidéos et des sciences passionne, un espace de jeu vidéo permanent, le e-Lab, a ouvert à la Cité des sciences et de l’industrie. Il comprend notamment un laboratoire pour décrypter les habitudes des jeux vidéos. De plus, les doctorants traduisent maintenant leur thèse en jeu vidéo. Comment vulgariser son sujet pour qu’il devienne un jeu ? À vous de tester ! Et si vous voulez approfondir le sujet, n’hésitez pas à consulter le mot-clé #ForumNIMS où il y avait une grande table ronde sur le sujet…
© Pixnio.
Pensez-vous que les jeux vidéos peuvent-être utilisés pour diffuser les savoirs ? Faut-il les encadrer ?
Sources :
- Des jeux vidéos au service de la science, 23 juin 2014, France Culture.
- Jane McGonigal : changer le monde grâce aux jeux, Clément, 25 avril 2012 dans El Gamificator.
- Jeu vidéo de gestion : un nouveau média ? Audrey Bardon, 17 novembre 2010 dans Université de Strasbourg.
- La Saga des Jeux Vidéos : 6ème édition, Daniel Ichbiah, 2017.
- Le jeu vidéo au service de la science, L’Esprit Sorcier, 30 mai 2016.
- Le marché du jeu vidéo en France à son plus haut historique, Chloé Woitier, 20 février 2019 dans Le Figaro.
[…] faisant partie de la culture). Si vous voulez retrouver cette discussion, l’article est ici […]
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[…] J’apprécie vraiment ces rencontres qui me permettent de découvrir la diversité et la richesse du monde de la communication scientifique. Avec Caroline, j’ai pu replonger dans l’originalité de la transmission de savoirs grâce aux jeux vidéos. […]
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